Lettres à Théophile Ferré

(reprise de la bruchure "Graine d'ananar de Claire Auzias", éditée par les Editions du Monde Libertaire et les Editions Alternative Libertaire.)

Chant de mort à mes frères.

Nous reviendrons / Frères dans la lutte géante /

j'aimais votre courage ardent /

la mitraille à la voix tonnante /

et notre drapeau flamboyant... Louise Michel.

Théo Ferré, délégué de Montmattre arrêté, fut détenu au camp de Satory. Louise Michel raconte cette arrestation. La mère de Théo Ferré en devint folle. Elle termina ses jours à l'hospice d'aliénés de Sainte-Anne.

De la prison des Chantiers, Louise Michel entretint avec Théophile Ferré une correspondance de prison à prison, des Chantiers de Versailles au camp de Satory, correspondance quasi-quotidienne d'autant plus poignante que l'assassinat de ce dernier par les Versaillais lui occasionna un choc émotionnel définitif, qu'on lit sous sa plume et qui se fond avec l'événement collectif que fut la Commune. De cet ensemble, Louise Michel émergea transformée.

Première lettre.

Maison d'arrêt de Versailles, 4 octobre 1871 dortoir, lundi 11 heures du soir

Frère,je vous remercie, je suis bien heureuse, je suivrai vos conseils, je vous le promets. Vous avez bien fait de me dire que vous vous portez bien, je l'espèrepour moi, depuis l'ouverture du 3ème conseil de guerre je ne sais même plus si je suis en prison je ne m'en suis guère inquiétée et après jugement comme celui qu'ils ont fait, quand j'aurais été libérée à l'autre bout du monde je serais venue retrouver nos amis. Voulez-vous que j'écrive pour vous les mémoires de...

En marge: si vous n'étiez pas prisonnier je serais moins docile.

Bas de page déchiré et disparu.

Dos de lettre: au citoyen Ferré, cellule 6 Continuation page 2, d'une écriture plus fine : il m'arrive maintenant d'avoir le temps d'écrire. Pourquoi je ne suis pas jugée encore, je nen sais rien puisque je devais passer dans les premières étant des plus coupables. Il est à croire qu'ils auront préféré commencer par de pauvres femmes qui pleuraient ne comprenant pas même la valeur des questions qu'on leur adressait que par celles qui ne peuvent prendre de pareils juges au sérieux [...] Vous souvenez-vous de cette réunion ou un grand orateur que nous n'aimions pas cependant parce qu'il était un peu personnel parlait d'une déportation immense portant joyeusement le drapeau rouge au grand mât. Ce serait bien beau. Ma mère est en sûreté chez ma tante ; je puis voir avec joie l'exil ou la mort et le choix en dépendra que m'en sera fait à moi révolutionnaire plus implacable que vous par ce que décideront de votre vie nos généreux vainqueurs à moins qu'ils n'en décident de même quand ce sera mon tour. En attendant je suis heureuse, oui l'avenir est à nous puisque nous sommes les martyrs. j'avais deux amies russes assez énergiques dont je n'ai plus entendu parler [...] Je suis ici écrivain public, ce sont les fonctions que je remplissais déjà à la gare de l'ouest parmi les prisonnières d'État. au revoir peut être. L. Michel.

 

Deuxième lettre.

Mardi soir au citoyen Ferré citoyen

Ferré

J'ai encore prié notre ami de vouloir bien se charger de cette lettre d'autant plus qu'il sait bien (c'est un peu orgueilleux mais c'est vrai) qu'il ne peut y avoir d'échange d'idées entre les autres prisonnières et moi parce que plus ou moins elles ont les qualités et les défauts des femmes et que précisément c'est ce que je n'ai pas. En attendant au revoir, il me semble que vous êtes bien triste je vous envoie tout ce que je puis voir d'espérances à l'horizon. J'espère qu'en fait d'opinion sur les femmes vous n'êtes plus réactionnaire et que vous leur reconnaissez le droit au péril et à la mort dans les circonstances comme celle ci; du reste ces droits là on nous les applique largement. Frère, est ce que nous nous reverrons ? "J'ai aimé et servi la Commune de tout mon coeur depuis le premier jour jusqu'au dernier parce qu'elle voulait le bonheur du peuple" Je vous serre la main de tout mon coeur.

Troisième lettre.

Lundi, 11 heures le soir au citoyen Ferré

J'avais dit cependant, notre cher prisonnier, vous êtes le meilleur de nous tous ( ce que je ne vous dirais pas si vous n'étiez condamné ) et il nous faut d'abord que vous viviez à ce prix là, j'oublierai éternellement la prison car ma mère étant en sûreté je ne suis inquiétée que pour vous, c'est bien assez.

 

Autres lettres et notes de Claire Auzias :

Toutes les tentatives pour éviter la peine capitale à Théo Ferré ayant échoué, Louise Michel entreprend sa propre campagne, de plus en plus désespérée. C'est ainsi qu' elle écrit entre autres : " Maison d'arrêt de Versailles 20septembre 71 Aux membres de la Commission des grâces Messieurs, Lorsqu'à l'anniversaire du 4 septembre il y eut des condamnations à mort je vous ai dit "moi aussi républicaine j'ai droit à la mort et je viens la réclamer car je n'en veux voir davantage" Je vous ai crié depuis : non, la Commune n'est pas coupable et la tête de Ferré serait le défl auquel répondrait la révolution. Aujourd'hui j'apprends à la fois le rejet des pourvois, la mort de la mère de Ferré, l'emprisonnement de son père et de son frère. J'ai besoin d'ajouter à l' appui de mon serment que la Commune n'a commis ni assassinats ni incendies ni pillage, des preuves dont vous ne pouvez douter J'allai trouver l'un des délégués de Montmartre {Ferré} et je lui dis avec tout le désespoir que m'inspirait la défaite prévue... je réclamai des exécutions d'otages. Il me répondit que de telles choses étaient des crimes contre l'humanité (20 sept 1871, Versailles). "

Elle écrit également à l'aumônier des prisons : " Je sens que les pourvois étant rejetés, il ne reste pour empêcher ce crime d'être consommé que la commission des grâces. Dites leur je vous en supplie une dernière fois que celui là même qu'ils ont condamné comme assassin et incendiaire flétrissait ces choses comme rendant l'avenir des causes en rendant odieuses et regardait comme impossibles à quiconque veut la liberté les lâches exécutions de victimes. Il faut que Paris soit bien mort pour que personne ne leur dise aumônier comment Ferré a résisté à toutes les provocations recevez, monsieur l'aumônier l'assurance de tout mon respect, 23 sept 71 Je vous prie de faire porter la lettre cachetée surtout sans qu'ils se doutent de la confiance que je vous porte. (23 sept 1871). "

Louise Michel n'hésite pas : " Monsieur le chef du pouvoir exécutif Président de la République. Versailles. Monsieur , Nous croyons impossible l'application froide de la peine de mort, mais il faut tout prévoir. Je dois vous prévenir que si une seule exécution avait lieu, des papiers provenant de la maison Thiers et d'autres seraient immédiatement publiés en lieu sûr et bon pour semblable publicité Pendant qu'il est temps encore nous disons: assez de sang assez de vengeance, après il sera trop tard. (8 octobre 1871). "

Elle écrit ainsi à l'ambassadeur d' Angleterre (personnel, 20 octobre 1871), au colonel Gaillard, directeur du Conseil de guerre à Versailles (3 novembre 1871), à Madame Jules Simon pour qu'elle fasse intervenir son mari député.

L' ancien ouvrier proudhonien et internationaliste Tolain ne s'est pas illustré avec une gloire particulière pendant la Commune. Il était devenu député. Louise Michel lui adresse ceci : " Monsieur Tolain, député, 22 rue de Satory, Versailles, 20 octobre 1871. Monsieur. Je connais votre dévouement à l'humanité. Il y a ici des douleurs pour lesquelles il faut que je vous parle, peut être pourrez vous quelque chose. Recevez mes respects. Louise Michel. Je vous attends aujourd'hui non pas le jour , mais l'heure prochaine. "

23 lettres à l'abbé Folley, qui fut son confident à la prison des Chantiers et son messager auprès de Ferré .. " Mon intention était de jeter la terreur... eh bien c'est Ferré qui, au nom de la cause aussi m'en a ôté les moyens. Et voilà pourquoi moi qui dirai la vérité jusqu'à mon dernier souffle je vous charge vous, prêtre croyant en votre ministre, de la dire à la commission des grâces au nom de celle qui aimera toujours plus que tout le peuple et la révolution et exiger cela au nom celle qui, n'ayant jamais commis de lâcheté a le droit d'exiger cela au nom de la grande justice. Je vous en remercie. Je vous envoie ma lettre fermée l'adressant à un prêtre j'en ai le droit (13 novembre 1871). Maison d'arrêt d'Arras, Pas de Calais. Voici l'adresse de mon cousin afin de rassurer maman : Monsieur Léon Galès, chemisier 164 et 166 en face des magasins du Louvre, rue Saint Honoré. "

C'est que Louise Michel, à l'approche de l'exécution de Théo Ferré a été transférée à la maison d'arrêt d'Arras, dans le Pas-de-Calais, afin qu'elle soit éloignée du lieu du meurtre.Théophile Ferré est exécuté. Après la condamnation de Louise Michel, elle est transférée à la prison d'Auberive en Haute-Marne, pour la rapprocher de sa mère. Ces lettres ont également l'abbé Folley pour destinataire. " Nous sommes arrivées hier à Auberive [...] Je ne souffre pas, je suis ici tout à fait dans la mort et cela vaut mieux pour moi. Je ne pouvais éprouver qu'une seule douleur. Maintenant je me sens de l'autre coté de la vie. Vous savez à qui j'aurais voulu dire adieu vous savez tout ce que je voulais faire, je ne vous recommande donc rien, mais écrivez-moi si vous avez vu maman (29 décembre 71). Quant à moi, je serais bien indigne de ceux qui sont morts si je ne m'habituais pas à vivre tellement pour les autres que je puisse oublier l'existence; avec cela il faudra bien que j'y revienne (7 janvier 72). "

Sur papier deuil liseré de noir. " L'an dernier à pareille époque dans les événements qui nous pressaient de toutes parts, j'admirais l'un des nôtres : le plus audacieux dans le péril, le plus généreux dans la victoire et ne voulais pas que cette grande nature descendit aux petites vanités humaines. Je lui disais que nous espérions davantage de lui ; combien de fois aussi je lui ai dit qu'il était beau de n'avoir que la mort pour récompense, mais c'est qu'alors j'espérais la partager. C'eût été du bonheur ! On en a ordonné autrement et je ne serai pas indigne de lui dans la douleur; après tout, se revoir même un instant, c'était trop de joie pour cette vie... Du moins pouvons nous être fiers de celui que nous avons perdu. Soyez sûr que je ne manquerai pas de courage ni que je ne négligerai aucun devoir, mais il arrive un instant où la conscience de ce qui reste à faire empêche seule d'aller retrouver ceux qu'on a perdus (24 mars 72). "

Et toujours à l' abbé : " Mon oncle est en liberté, mes cousins l'un à Versailles l'autre à Rouen mais eux sont jeunes, ils peuvent souffrir. Briot dans sa bienveillance a eu l'idée de parler de moi à la commission des grâces. Je vous supplie qu'on ait quelque respect pour la conscience et ne descende pas jusqu'à insulter par de telles choses ceux qui souffrent avec joie mais qui sauraient mourir plutôt que se laisser dégrader . J'ai été condamnée en enceinte fortifiée, j'ai le droit d'exiger que qui que ce soit n'y change rien comme je l'ai déclaré devant le conseil de guerre. Je saurai bien tenir ma parole contre tout, mais vous savez qui m'a ordonné d'être calme, j'obéis (7 avril 1872). Merci de vous souvenir des morts; du reste vous seul avez été son ami l'an dernier; je m' en souviens (28 janvier 1873). "

Hugo, qui s'est toujours prononcé contre la peine de mort, intervient plusieurs fois en faveur de communards. Il dîne en tête-à-tête avec Thiers pour obtenir l'adoucissement de la condamnation de Henri Rochefort le 1er octobre 1871, il sauve quelques têtes dont celle de communardes. Malgré les exhortations de Louise Michel, il ne semble pas s'être entremis afin de sauver celle de Théophile Ferré. Après le procès de Louise Michel il écrit Viro Major (Plus grande qu'un homme). À sa suite, des poètes de la Commune évoquent fréquemment celle qui est devenue, dès lors, la voix folle de la Commune.

Camille Pissaro écrit à son fils : " Je te prie de lire la défense de Louise Michel. C'est très remarquable. Cette femme est extraordinaire. Elle tue le ridicule à force de sentiment et d'humanité. "

L' on connaît la suite : après plus d'une année à la prison d' Auberive, Louise Michel, condamnée à la déportation en enceinte fortifiée, est embarquée sur le Virginie pour la Nouvelle-Calédonie, où elle reste huit ans.

Son seul séjour dans cette colonie française force l'admiration. On en lit le récit dans tous ses écrits, ses mémoires, ses Souvenirs, ses Contes canaques et ses Conférences, poèmes et correspondances. Elle a abordé la Nouvelle-Calédonie comme personne ne le fit avant elle, étudiant la langue canaque pendant six mois avant d'approcher ce peuple soumis par la France. Elle fit oeuvre d'ethnographe recueillant et étudiant des coutumes ignorées d'elle - Parmi les libertaires, seul Charles Malato l'accompagna réellement dans cette inclination. Il demeura son ami tout au long de sa vie. Jusqu'à Nathalie Lemel, Henri Rochefort (avant son évasion) sans compter d'autres communards déportés hostiles aux Canaques, Louise Michel fut seule dans cette rencontre d'un peuple à qui elle n' offrit rien moins que les armes de leur libération. Le geste concret et hautement symbolique de Louise Michel coupant en deux l'écharpe rouge de la Commune dont elle offrit l'autre moitié aux Canaques est resté si mémorable qu'il donna lieu à prolongement jusqu'au Chiapas : d'après l'historien mexicain Garcia de Leon, à la suite de la rébellion des Canaques en 1878, quelques centaines d'entre eux furent transportés au Mexique pour combler un manque de main d'oeuvre. Beaucoup périrent dès leur débarquement. Mais, Les Canaques transportaientavec eux - par un de ces cheminements absurdes [...] le drapeau rouge de la Commune [...] Au Sonocusco, la graine était semée et une ceinture rouge vint s'ajouter à la lutte multicolore des journaliers chamulas. La légende étant aussi belle que la réalité, peu importent les faits eux-mêmes pour signifier ce qui, au final, est exact : le drapeau rouge de la Commune fit le tour de la terre...

Non contente de lutter quotidiennement contre l'administration pénitentiaire, pour elle même comme pour ses co-déportés, non contente de fraterniser avec les Canaques ; Louise Michel eut encore le temps d' écrire des oeuvres littéraires depuis la Nouvelle-Calédonie, une correspondance et de s'intéresser à la géographie et la géologie du lieu.

L'on est tenté de penser que les Canaques firent oeuvre de deuil sur Louise Michel, qu'ils la "soignèrent" de son immédiat chagrin, lui rouvrant un monde nouveau à découvrir et qu'auprès d'eux, elle reprit la force de lutter qui fut sienne, sa vie durant.

Le retour à Paris fut triomphal ; moins d'une semaine après avoir mis pied à terre dans la capitale française, Louise Michel donnait une conférence à l'Élysée-Montmartre.